« Vous partez ce soir. passez à l'armurerie avant »

J'étais dans le dortoir, rideaux tirés. A vrai dire, j'étais même sur le point de me coucher, la journée ayant été épuisante. J'avais, avec plusieurs autres Eclaireurs, escorté quelques Armuriers trouver du noisetier pour faire les arcs qui serviraient à défendre la Maison. Il avait fallu aller loin, les abords d'Aedes ayant déjà fait l'objet d'une quête de certains bois aux particularités recherchées -des bois souples, plus résistants, sombres, cassants... Nous étions partis à l'aube et revenus au coucher du soleil. Après un rapide repas, pris avec le reste de l'expédition, j'étais montée me doucher longuement afin de me débarrasser de la poussière et de la sueur. J'étais assise sur mon lit, serrant dans ma main le bracelet que m'avait offert ma soeur pour mes dix-huit ans et que je ne quittais jamais. Quatre ans s'étaient écoulés depuis, pourtant je ne me souvenait que de la première année passé ma majorité. Par quel mystère, quelle volonté étions-nous ici ? Jehan choisit ce moment pour ouvrir le rideau qui isolait mon lit du reste du dortoir.
« Tiens. Voilà ta feuille de mission. Des Gardiens ont entendu du bruit dans le secteur Nord, tu pars en exploration avec Taline. Ce soir. »
J'en restais abasourdie. Il savait très bien que j'avais marché -et porté des tonnes de bois, accessoirement- toute la journée, et il me renvoyait encore en mission ?
« Maintenant ? »
Il acquiesça en me tendant la feuille qu'il tenait dans sa main droite.
« Oui. Passe à l'armurerie avant, tu auras besoin d'un viseur infrarouge pour ton pistolet. Et ne prends pas ton arc. »
Il partit sans un mot de plus. Je me rhabillai avec toute la volonté que je parvins à rassembler -très peu, il faut dire. J'avais mille fois plus envie de me coucher et de dormir jusqu'au lendemain soir que de partir vadrouiller dans les bois. Même s'il faut dire que cette première mission en binôme avait de quoi m'exciter. D'habitude, nous étions toujours en groupe d'au moins six, sous les ordres d'un responsable -un des plus anciens éclaireurs, des plus rodés. Une mission en duo signifiait que les responsables nous faisaient assez confiance pour nous laisser partir seules, c'était assez gratifiant. Enfin bref. J'enfilai rapidement un tee-shirt sombre, un pantalon souple noir avec de grandes poches à boutons et mes bottes de daim. Elles étaient plus claires que le reste de ma tenue mais je comptait sur la poussière de ces derniers jours sans pluie pour harmoniser les couleurs. Je lus l'ordre de mission. Plus succincte, tu meurs. Il nous disait de partir vers le nord et de quadriller une zone coloriée en rouge sur la carte au dos de la feuille. La nuit promettait d'être longue. Ce ne devaient être que des bêtes, mais Jehan avait raison : mieux valait être prudents. Je passai à l'armurerie où Maël fixa un viseur IR sur mon pistolet et me donna des lunettes également à IR, que je pouvais activer ou désactiver à l'aide d'une simple pression sur la branche. Je félicitai Maël et il me signala que Taline était déjà passée. Je devais me dépêcher. Je remontai presque en courant et la trouvai dans le hall, en train de discuter avec un Gardien à l'origine de l'alerte.
« Quand tu veux, Taline. »
Cette jeune fille -enfin, elle n'avait que deux ans de moins que moi- m’intriguait. Elle ne parlait pas à grand monde, et ne se livrait que très rarement. Tout ce que je savais d'elle, c'était l'infirmière qui me l'avait dit, et ce n'était pas grand chose. Elle avait été enfant-soldat, puis prisonnière et enfin placée en famille d'accueil. Je ne la connaissais pour ainsi dire pas et j'étais curieuse. Mais pas téméraire : je n'allais pas la bombarder -haha- de questions si elle refusait de parler.

Taline avait passé la journée à s’entraîner au rez-de-chaussée. Ce n'était pas un étage très fréquenté, d'où son affection pour cet endroit. Elle aimait courir et faire des exercices de gainage et d'assouplissement sans que personne ne la dérange. Et puis l'extérieur était si près à cet étage... Pour certains, c'était synonyme de danger, mais en vérité, Taline adorait l'extérieur aussi bien qu'elle le craignait.
Ce n'est qu'en allant se chercher quelque chose à boire et à manger qu'on vint la trouver. Apparemment, elle avait suffisamment fait ses preuves pour qu'on l'envoie en binôme dans la forêt la nuit. La jeune femme le remercia et fit l'effort de manger son repas jusqu'au bout avant de descendre à l'armurerie. Si l'infirmière apprenait qu'elle avait à nouveau sauté un repas, elle prendrait cher...

Elle salua d'un signe de tête l'armurier et lui tendit sa feuille de mission sans dire un mot. Le garçon connaissait son boulot, il saurait quoi lui donner en fonction de sa mission. Aussi, en plus de sa lame habituelle qu'elle cachait dans sa botte, elle reçut des lunettes Infra-rouges et un pistolet avec un viseur lui aussi Infra-rouge. Taline prit le temps de tester leur poids et leur maniabilité et, une fois satisfaite, remercia l'armurier avant de remonter dans le hall pour attendre sa partenaire.
Là, elle trouva le gardien qui était à l'origine de l'alerte. Elle en profita pour faire son quota de paroles pour la journée et lui demanda des renseignements supplémentaires sur les bruits qu'il avait entendu. Tout portait à croire que c'était des bêtes, mais la jeune femme ne pouvait s'empêcher de penser à chaque fois que cela pouvait être quelque chose venant de l'autre côté de la forêt. Malheureusement, ses espoirs s'étaient tous soldés par des échecs.

C'est là qu'une voix venant de l'armurerie l'interpella. Taline se retourna et fit face à Gia, la personne avec qui elle allait partir dans la forêt. La jeune femme l'avait plusieurs fois côtoyé durant des missions en groupe, très sociale, elle avait toutefois eut la décence de respecter le silence de Taline. Ce qui faisait qu'elle était une personne que la jeune fille appréciait et dont elle ne se méfiait pas tant que ça.
Elle avisa sa tenue et son équipement en accord avec la sienne et eu un hochement de tête approbateur. Les deux étaient prêtent pour la nuit, elles pouvaient partir. Mais alors qu'elle s'apprêtait à donner son feu vert à Gia, l'infirmière débarqua en courant dans la pièce et, tout en râlant pour elle-même, elle donna aux deux filles une trousse de secours légère à fixer sur la ceinture. Elle ajouta même une barre énergétique...

- Toi Taline, c'est parce que tes dernières analyses montrent encore des carences en vitamines et que tu es bien trop maigre !! Gia, tu vas en avoir besoin pour tenir le coup avec la journée que tu as eu. Alors faites-moi le plaisir de me manger ça en chemin, d'accord ?
- A vos ordres... fit Taline d'un air las.

Elle n'aimait pas l'idée qu'on suive son état à la loupe, aussi se pliait-elle à toutes les exigences de l'infirmière pour qu'elle la harcèle le moins possible... Après un dernier salut au gardien et à l'infirmière, les deux filles ouvrirent les portes de la maison et, alors que les dernières lueurs du jour disparaissaient, se glissèrent à l'extérieur.
Dès que Taline sentit la fraîcheur du soir et le vent sur sa peau, elle eut un soupir de soulagement. Être toujours dans cette maison la faisait devenir claustrophobe, et même si être dehors lui demandait d'être toujours sur le qui-vive, c'était là qu'elle se sentait le plus libre. Elle avait envie de courir partout pour ne jamais revenir. Mais hélas, elle savait que s'était impossible. Jetant un dernier coup d’œil à la carte sur leur feuille de mission, le duo commença à se diriger vers la forêt.

- Tu as été sur la dernière mission d'aujourd'hui, je me trompes ? demanda Taline à Gia alors qu'elles parcouraient la clairière. Ça va aller pour toi ?

Les paroles de l'infirmière lui avaient rafraîchit la mémoire et elle se souvint avoir aperçu la jeune fille quitter la maison avec le groupe de la journée. Taline les avait regardés partir avec une légère envie avant de commencer à s'entraîner pour s'occuper et ronger son frein avant la prochaine mission qu'on lui confiera.
Elle ne lui avait pas posé de questions sur son état pour faire la conversation, dehors il valait mieux ne rien attirer avec le son de sa voix. Elle ne mettait pas non plus en doute les capacités de la personne qui l'accompagnait. Mais elle préférait savoir dans quel état était sa partenaire, histoire de ne pas avoir de mauvaises surprises au pire moment. Au pire, si elle tombait de fatigue, Taline n'hésiterait pas à abandonner la mission et rentrerai à la maison en la portant sur son dos. Rester en vie était toujours préférable à réussir une mission.

« l'obscurité est notre alliée. et notre ennemie, tout à la fois. »

L'air frais de la nuit me revigore -un peu. J'étais toujours fatiguée mais au moins j'étais alerte. Je sentais les odeurs des arbres, celle de la menthe poivrée et le parfum de la mousse sèche. Mon odorat était très sensible, et je considérais cela comme un atout de taille. A vrai dire, il me servait surtout lors de mes nuits d'insomnies, quand j'allais au cellier m'allonger au milieu des odeurs qui me rappelaient mon enfance. Pommes de terre, potirons, courgettes et farine. Le cake préféré de ma mère. Nous nous apprêtions à partir lorsque l'infirmière débarqua en trombe dans le hall, et nous tendit des trousses de premiers secours. Toujours utile, pensai-je. Elle ajouta même des barres de céréales en complément, justifiant son geste par ma fatigue due à ma longue journée et aux carences de Taline. Elle manquait à ce point de vitamines ? Ses carences devaient être effroyables parce qu'elle était dans la Maison depuis près de quatre mois, soit un de moins que moi. Je n'osais imaginer ce qu'elle avait pu traverser. Et je me gardai bien de lui poser la question. La patience était mon alliée la plus prometteuse si je voulais que Taline m'accorde sa confiance et, pourquoi pas, devienne une amie. Je remerciai l'infirmière en attachant la trousse à ma ceinture et suivit Taline à l'orée du bois, là où la lune cédait son territoire aux ombres des arbres.
« Tu as été sur la dernière mission aujourd'hui, je me trompe ? Ca va aller pour toi ? »
Je restai coite une demi-seconde. Elle devait avoir noté les mots de l'infirmière. Ou alors se rappelait-elle m'avoir vue partir avec le groupe ce matin ? En tous cas, j'appréciai sa sollicitude. Je lui répondis d'un ton prudent assorti d'un sourire que je voulais rassurant.
« Oui, ne t'en fais pas. J'ai bien mangé et l'air frais m'a réveillée. Je te dirai si je ne tiens pas, mais avec la barre ça devrait aller. »
Je savais qu'elle n'hésiterai pas à abandonner la mission si je m'écroulais de fatigue, mais je ne voulais pas gâcher l'opportunité que nous avions de faire nos preuves. Si nous réussissions cette mission avec brio, nous formerions un binôme d'exploration définitif. Autant dire, des missions parfois plus lointaines de la Maison que les quelques explorations en groupes que nous avions faites, plus de libertés et la possibilité de prendre nos propres initiatives. Non, je ne voulais rien gâcher. Je regardai à nouveau la carte qui détaillait le secteur que nous devions explorer, et posai les lunettes infrarouges sur mon nez. Comment les activait-on, déjà ? Ah oui. Je pressai la branche de gauche et aussitôt, la verdure presque noire de la forêt sous le clair de lune se colora d'un rouge presque sanglant. J'eus un mouvement de recul. C'était la première fois que j'en portais et la sensation était.. étrange. Je devrais m'y habituer. Je sortis quelques abricots secs de l'une de mes poches et en proposai à Taline :
« Je préfère mille fois ça aux barres énergétiques. Tu en veux ? »
J'en croquai un tout en gardant ma main tendue vers elle. Miam, vraiment, j'adorais ça. En plus, les abricots secs sont plein de vitamines et de sucres rapides, exactement ce qu'il nous fallait. Et je détestais les barres énergétiques que nous recevions à la Maison. Je n'aimais pas trop les céréales à vrai dire. Mais les fruits..

Imitant Gia, Taline revêtit elle aussi sa paire de lunettes infrarouges et les activa. Elle regarda plusieurs fois les environs pour tenter de s’habituer à cette nouvelle vision peu commune. Mais elle s’y fit rapidement. C’était comme porter des lunettes de soleil, y avait un filtre mais rien ne changeait… Cela rendait quand même le tout assez effrayant…
La voix de sa partenaire l’interrompit et elle avisa d’un air méfiant les fruits qu’elle lui proposait. Ce n’était pas qu’elle se méfiait de Gia !! C’était une gentille fille… Mais Taline avait le réflexe de se méfier des gestes généreux tel que celui qu’elle faisait. Elle prit lentement un fruit dans sa main et attendit que la jeune fille mange le sien avant de croquer dedans. Le sucre était agréable et ses lèvres s’étirèrent légèrement.

La mission qui les attendait était tout ce qu’elle espérait depuis qu’elle était devenue éclaireuse. Elle allait enfin pouvoir s’aventurer plus librement dans la forêt !! Depuis le temps qu’elle désirait qu’on lui laisse plus de possibilités. Si cette mission était un succès, non seulement leurs capacités seront reconnues aux yeux de la mission, mais en plus elle pourrait enfin commencer à explorer la forêt pour tenter d’en voir le bout !!
L’échec n’était pas concevable. Elle finit rapidement son fruit et, raffermissant sa prise sur son arme, elle s’engagea dans la forêt. Là, le silence fut le mot d’ordre. Elles ne savaient pas où se trouvaient les prédateurs, aussi valait-il mieux qu’ils ne le sachent pas eux non plus. Instinctivement, Taline prit la tête, marchant le plus silencieusement possible et scrutant l’obscurité, les sens aux aguets.

Leur progression se fit sans de trop gros incidents. Plusieurs bruits sur les côtés et certains grognements lointains les alarmèrent, mais c’était les bruits de la forêt. Elle serait beaucoup plus inquiétante si tout les animaux c’étaient tuent. C’était un peu le repère pour Taline, tant qu’elle entendait les chouettes et autres animaux nocturnes, tout allait bien.
Au bout de plusieurs longues minutes sans incidents, elles arrivèrent en bordure de la zone qu’elles devaient exploiter. Taline fit une pause et se tourna vers Gia. C’était là qu’avait été entendu des bruits étranges, elles allaient devoir repérer les traces de l’origine de ce bruit, soit le trouver tout court. La jeune fille n’était pas vraiment fan de la seconde option.

- Prête ? Par quelle direction on commence ? dit-elle en chuchotant.

Mais au moment où elle finit sa phrase, un grognement plus proche que ceux qu’elles avaient entendu sur le chemin résonna dans la forêt. Taline se raidit… Les autres animaux s’étaient tuent…

« je crois savoir ce que c'est. mettons-nous à l'abri dans un arbre »

Le silence de la forêt autour de nous fut la première chose que je notai. Nous avions progressé sans encombre, le long d'une ligne incurvée partant de la Maison. Les larges troncs des chênes plusieurs fois centenaires nous avaient offert des boussoles grâce à la mousse qui ne poussait que sur le côté sud de l'écorce. Le bruit de nos pas, ténu et étouffé, était couvert par le frémissement des feuilles dans les arbres, le hululement des chouettes et tous les murmures des animaux nocturnes. A aucun moment je n'avais effrayé un animal, et si Taline avait fait fuir un lapin, c'était parce qu'un hurlement lointain nous avait fait sursauter toutes les deux. J'étais bien derrière Taline, même si cette position d'arrière m'obligeait à jeter de fréquents coups d'oeil vers la Maison. Vers l'origine de notre mission. Le pire qui pourrait nous arriver -autre que de tomber sur des bêtes assoiffées de sang- serait de tomber sur des bêtes assoiffées de sang et que notre retraite soit coupée par ces mêmes bêtes assoiffées de sang. J'avais, en tant que seconde en file, le rôle capital de nous garantir une retraite en cas de problème. J'avais une excellente vue qui compensait mon ouïe pas si fine que ça, et avec ces lunettes infrarouges, c'était parfait. Quelques grognements se firent entendre sur notre gauche, et je vérifiai d'un geste que je voulais assuré la poids du flingue qui pendait à ma taille. Il était toujours là, aussi je me détendis imperceptiblement.
« Prête ? Par quelle direction on commence ? »
La question de Taline me surprit. En prenant la fin de notre -très courte- file, j'avais implicitement accepté qu'elle en prenne le commandement. Il ne lui était donc pas nécessaire de me demander mon avis, elle avait ma confiance tacite pour prendre les -bonnes, espérons-le- décisions. Taline avait l'étoffe d'un chef qu'on écoute et qu'on respecte. Calme, posée, autoritaire mais juste, je lui faisait entièrement confiance pour nous ramener vivantes à la Maison. J'étais donc en train de songer à cela lorsque le silence se fit autour de nous, assourdissant. Merde. Un hurlement à vous glacer le sang retentit non loin de là où nous étions.
« Euh... je suis prête, mais je suggère qu'on grimpe à un arbre pour essayer de repérer la source de ça en se mettant à l'abri. »
Couarde, moi ? Jamais. J'avais oublié la signification de ce mot le jour où j'avais dû annoncer à ma mère et à ma soeur que mon père ne reviendrait jamais à la maison. Il faut une sacré dose de courage quand votre mère vous regarde dans les yeux en attendant une bonne nouvelle, et que vous avez le devoir de lui annoncer la mort de l'homme qu'elle aime. Mais j'étais fatiguée, pas en état de courir jusqu'à la Maison et je voulais nous mettre en sécurité. Mais j'étais aussi curieuse alors je sondai la forêt dans la direction d'où provenait le cri.

Taline hocha vivement de la tête, approuvant l’idée de Gia. Même si elles risquaient d’être coincées dans un l’arbre en question, elles avaient la garantie de savoir avec plus de facilité d’où viendrait le danger. Elle espérait toutefois que la bête en question qu’elles avaient entendue n’était pas apte à grimper aux arbres… Lui tirer dessus ne ferait qu’attirer toute l’attention de la forêt sur elles.
Jetant un rapide coup d’œil en question, elle trouva un arbre qui semblait assez praticable pour être grimpé et au tronc assez solide. Elle rangea son arme pour avoir les mains libres et monta la première. Une fois à cheval sur une branche solide, elle tendit la main à Gia. Mieux valait qu’elle limite ses efforts si elles devaient se mettre à fuir.

Elles continuèrent à grimper et heureusement pour elles, aucunes branches ne cassèrent, tout du moins pour le moment. Une fois en haut, les grognements de la bête se firent plus diffus, signe qu’elle était à terre. C’était au moins une bonne nouvelle. Mais vu qu’elle n’avait strictement aucune idée de la faune de ce secteur, c’était leur boulot de repérer ce genre de choses en fait, elle ne savait pas à quoi s’attendre.
Taline réussi à se positionner accroupie sur une banche et en face d’une trouée qui lui permettait de voir un peu plus facilement les horizons. Dans cet amas de branches et de feuilles qui constituait la forêt, la jeune fille fut à l’affut du moindre bruit ou mouvement suspect. Même si les grognements avaient cessés, la forêt était toujours aussi silencieuse.

Soudain, elle perçu un mouvement en contre-bas. Elle tapota l’épaule de Gia et lui montra du doigt la direction où elle avait vu une forme sombre se déplacer. Cela avait été furtif et rapide, mais elle était certaine de ce qu’elle avait vu. Elle continua à fixer cette zone, retenant sa respiration. Les quelques minutes qui suivirent lui donnèrent raison et une bête qui semblait appartenir à une famille lointaine des sangliers apparu.
En plus de sa masse imposante, elle émanait le danger et la fureur. Taline s’attendait presque à croiser des yeux rouges et une bave aux lèvres si elle s’approchait un peu plus près. Mais elle n’était pas aussi stupide. Maintenant qu’elle l’avait repéré, elle ne la quitta pas des yeux, l’observant sous tous les angles pour tenter de retenir la forme de son anatomie.

Un frisson la parcouru et ses bras se couvrir de chair de poule. Si elle les repérait, cette créature était bien capable de foncer encore et encore dans le tronc d’arbre pour les faire tomber. Il valait mieux pour elles qu’elle ne les repère pas. Elle se lécha les lèvres et pensa soudain aux fruits sec de Gia et à leurs barres énergétiques. Si la créature avait un bon odorat, cela pouvait très bien causer leur perte !!
Taline ne s’était encore jamais battu contre des bêtes… tout du moins, d’après ses souvenirs. Elle avait croisés des hommes réduits à l’état de bêtes sauvages et inhumaines. Mais de vrais bêtes régit par la loi de la nature, c’était son véritable premier contact. Et en plus de la frayeur que cela lui procurait. Elle devait s’avouer que cela l’excitait un peu.

« nous sommes fichues »

Je grimpai très bien aux arbres. Etant petite, ma soeur et moi jouions souvent aux espionnes, dans le petit bois derrière la maison, et nous grimpions aux arbres quasiment tout le temps. Mais j'attrapai la main que Taline me tendait avec un soupir de remerciement. Pour ne pas la vexer, d'abord, mais surtout parce que je voulais économiser mes forces et que cette aide allait dans ce sens. Je suivis Taline toujours plus haut dans les branches, et nous nous retrouvâmes bientôt à califourchon sur deux branches qui dominaient la forêt. C'était magnifique. Le clair de lune se reflétait sur les gouttes de rosée déposées par la nuit sur les feuilles des arbres, et je pouvais apercevoir au loin la lueur plus jaune de la Maison. Les Gardiens devaient être à l'affût et tous regarder dans notre direction. Taline me tapota l'épaule pour me désigner quelque chose en contrebas, et j'en oubliai instantanément la Maison et ses habitants. Tout d'abord, je ne vis rien, puis l'énorme bête bougea et je reconnus un sanglier. Quoique. Un sanglier, ça ne mesure pas deux mètres au garrot si ? D'après mes souvenirs, non. J'en déduisis que ce monstre était l'origine du bruit qui nous avait valu cette mission. Je mis la main dans ma poche gauche pour sortir un carnet et esquisser la bête, mais je bugnai dans le sachet des abricots secs et me figeai. Bon sang, l'odeur ! De ce que je me souvenais, les bons odorats étaient réservés aux carnivores, nous ne risquions rien si je refermai ma poche soigneusement. En théorie, j'avais correctement refermé le sachet des abricots, et les barres énergétiques étaient dans des emballages étanches. Je sortis le carnet et refermai ma poche avec toutes les précautions du monde, puis tendis le petit volume relié de cuir rouge à Taline, en lui désignant la bête. Je ne savais pas si elle était meilleure dessinatrice que moi, mais si je faisais le dessin, nous allions nous retrouver avec un croquis digne d'un homme des cavernes et je préférais éviter, pour les autres. Je profitai que Taline avait pris le carnet pour activer mes lunettes, trouver la règle optique intégrée aux verres et mesurer le monstre. Une fois la mise au point effectuée, ces petits bijoux de technologie ajustaient l'échelle de la règle. Comment ? Aucune idée. Je repris le crayon à Taline pour noter la taille de la bête. Deux mètres vingt de haut au garrot, deux paires de défenses de cinquante centimètres de long, et trois mètres du museau à la queue. Approximativement. Une autre idée germa dans mon esprit, et je pressai deux fois la branche gauche de mes lunettes pour prendre une photo thermosensible. La caméra avait été rajoutée il y a peu et je n'avais pas encore le réflexe de m'en servir. Le monstre semblait très poilu, mais peut-être était-ce la nuit qui me jouait des tours. Un hurlement retentit au loin, semblable à celui d'un loup. Non. Beaucoup trop puissant pour un loup. Une meute, alors ? La bête qui était en dessous de nous releva la tête, huma l'air, se raidit et partit au galop dans la direction opposée. Bon sang, je ne savais pas qu'un sanglier aussi gros pouvait courir aussi vite ! Lorsque l'animal qui avait hurlé s'arrêta net sous notre arbre et huma l'air, je me figeai et souhaitai instantanément ne pas avoir pris part à cette mission. Elle était là, la source des hurlements que les Gardiens avaient entendus ! Un immense loup ? lynx ? presque aussi imposant que le sanglier, au pelage gris comme la brume et aux crocs aussi longs que mes doigts. Nous étions fichues.

Heureusement pour les deux exploratrices, la bête ne semblait pas tellement se préoccuper d’elles. C’était une espèce herbivore, et son odorat ne semblait pas tellement développé. Elles purent donc l’observer sous tous les angles de leur perchoir sans craindre grand-chose. Tandis que Gia prenait des mesures avec ses lunettes, Taline s’empara du carnet qu’elle lui avait donné et tenta de faire un croquis de la bête.
Mais malheureusement, ses talents de dessinatrice laissaient à désirer et elle fut incapable de faire quelque chose de très convaincant. Elle finit par rayer furieusement on dessin et écrivit « Gros sanglier » à côté. Elle activa ensuite la caméra de ses lunettes et prit la bête en photo sous tous les angles… Les dessins étaient obsolètes avec un tel équipement…

Soudain, un hurlement raisonna dans toute cette partie de la forêt. Taline sursauta et s’agrippa à la branche qu’elle serra tellement que ses doigts s’y enfonçaient presque. D’un coup, à la manière de la créature qui avait alors filé sans demander son reste, elle avait envie de détaler et fuir d’ici le plus vite possible.
Mais c’était déjà trop tard, un gigantesque loup fit son apparition en dessous de l’arbre. Son nez en l’air confirma alors ses pires craintes, il les avaient vus… ou plutôt sentit. Taline ne connaissait pas tellement les loups. Elle savait qu’ils ne s’attaquaient généralement pas aux humains, mais pour un animal aussi gros, elles n’étaient que deux petits écureuils appétissants à ses yeux.

Taline savait à qui elle faisait face. Sa queue droite, sa tête haute et sa démarche imposante en disait long. L’Alpha, le maître de cette partie de la forêt, le chef de meute. Il avait hurlé sa domination jusqu’à la maison pour qu’ils en soient parfaitement conscient. Là, sur son territoire, il n’y avait pas plus dangereux que ce loup.
Heureusement, il ne semblait pas être accompagné, il courait en solitaire. Taline osait à peine imaginer ce qu’il se passerait si elles avaient affaire à toute la meute. Heureusement, aux dernières nouvelles, ce n’était pas des grimpeurs, donc elles étaient dans un lieu sûr… Mais comment redescendre sans se faire bouffer au passage ?!!

Taline regarda tout autour d’elle à la recherche d’une échappatoire. Elle envisagea même l’idée de quitter le secteur d’arbre en arbre, mais les branches de celui-ci étaient bien trop éloignées des autres arbres. Et elle ignorait si Gia en aurait la force. Et soudain, alors qu’elle parcourait le sol à la recherche d’inspiration, elle le vit.
Derrière le loup, face au vent pour ne pas être sentit, un lapin/kangourou qui portait ses petits dans la poche de son ventre était caché dans un buisson. Il, ou plutôt elle, était tellement immobile que Taline avait failli la manquer. Elle avait dû s’immobiliser depuis leur arrivée et restait bien à l’abri dans sa cachette, son odeur était masquée par celle bien plus inconnue qu’avait les exploratrices.

Une idée parvint jusqu’à Taline et elle regarda autour d’elle à la recherche de quelque chose à lancer. L’arbre dans lequel elles étaient une sorte de pin. Elle prit les fruits de l’arbre à sa portée, une forte odeur de résine se fit alors entendre. La jeune fille sourit, avec un peu de chance, ça les aidera à cacher leur odeur.
Une fois armée de 4 projectiles, elle se stabilisa le mieux possible et visa le buisson du lapin. Son premier tir atterrit par terre bien loin du buisson. Le deuxième frappa la tête du loup de plein fouet, celui-ci grogna et glaça le sang dans les veines de la jeune fille. Comme s’il n’était pas suffisamment dangereux, il fallait en plus qu’elle l’énerve !!

Inspirant à fond pour se détendre, faisant abstraction de tous les sons autour d’elle, elle ne prêta même pas attention à Gia à côté d’elle. Il fallait qu’elle se concentre. Respirant à fond, elle lança à nouveau une pomme de pin qui atterrit au pied du buisson. Le loup fit volte-face et grogna face à ce qui ne pouvait être à ses yeux que la source de son énervement. Son 4ème et dernier coup atterrit au beau milieu du buisson et la lapine/kangourou détala, le loup aux trousses.
Taline poussa un soupir de soulagement. De ses mains pleines de résines, elle s’en tala sur la nuque pleine de sueur et le reste du corps pour tenter de masquer son odeur. Vérifiant son matériel rapidement, elle se rendit compte que sa caméra était toujours active, elle avait filmé toute la scène. Parfait. Elle se tourna vers Gia et lui montra la branche pleine de résine.

- Masque ton odeur et prépare-toi, va falloir courir… dit-elle tout bas. On rentre.

Et sans attendre que Gia face de même, Taline commença à descendre. Elle l’attendit en bas, vérifiant avec ses lunettes que le prédateur était bien partit. Mais rien ne sortit des buissons pour la dévorer, aussi en déduisit-elle qu’elles étaient temporairement tirés d’affaire. Elles avaient réunis suffisamment d’informations pour cette nuit, il était temps de rentrer.
Une fois que Gia l’eu rejoint, les deux exploratrices quittèrent le secteur nord, leur secteur, au pas de course. Elles coururent d’un pas régulier, Taline se ralentissant de force pour ne pas semer Gia. Mais l’adrénaline s’avéra être une excellent stimulant. Elles ne s’arrêtèrent pour marcher que 10 bonnes minutes plus tard.

Même si elles devaient toujours être sur le qui-vive, le secteur leur était plus familier et Taline s’autorisa à souffler. Elle sortit la barre énergétique donnée par l’infirmière et l’ouvrit de ses mains tremblantes pour mordre avidement dedans. Elles avaient eu de la chance, beaucoup de chance… Mais au moins, leur mission était accomplie !! Elles savaient la plus grande menace du secteur Nord. La prochaine fois qu’elles partiraient, elles devront se munir de quoi contrer la menace de l’Alpha.
Reprenant ses armes en main prête à viser le moindre prédateur, elle accéléra le pas, impatiente pour la première fois depuis son réveil dans l’ascenseur de rentrer à la maison. Elle la voyait enfin comme un refuge et non comme une prison. La forêt lui avait fait peur cette nuit, aussi peur que lorsqu’en Iran, elle se retrouvait face à un homme deux fois plus grand qu’elle voulant la tuer.